• Amputation

    La fusion. L’enchevêtrement des corps et des esprits. Comme si on s’était fait greffer un nouveau membre.  Au début on trouve ça surprenant, c’est agréable mais on sait pas trop ce que c’est, on a jamais connu ça. Et puis on s’habitue. On en veut encore, plus, toujours plus. C’est grisant, la vie part à cent à l’heure, on se sent invincible et éternel. On sait que l’autre comprend tout, du moins on le croit. On se permet tout, c’est pas grave, il sait.

    Et puis un jour le pas de trop, le mot de travers, l’acte impardonnable. Et tout s’arrête. Choc frontal, membre blessé, urgences, amputation. Commence alors le chemin de croix. Le syndrome du membre absent. La souffrance profonde, inattendue, et l’obligation de faire sans. Sans ce membre absent qui pourtant est là, on le voit, il s’agite, vit, s’affaire de son côté, semble respirer à peu près bien tout seul. Il n’est plus raccordé au reste du corps mais il respire encore. Ou a l’air, on n’en sait pas plus, la communication est brouillée, les codes ne sont plus très clairs, la connexion est coupée. Pourtant on cherche à savoir, à deviner, est-ce qu’il souffre autant, est-ce que la distance est aussi douloureuse pour lui ? Toutes ces questions qui restent sans réponse, puisque le choix qui a été fait est de ne pas titiller ce membre absent.

    Ca démange, bien sûr, mais on sait bien que gratter les plaies ne ferait qu’arracher les croûtes. Tout ça n’est pas ragoûtant je vous l’accorde, mais la souffrance morale est souvent tellement similaire à une souffrance physique.  Parfois elles se mêlent, même, la fameuse fusion, qu’on retrouve encore ici. Mais dans sa version sombre, celle de l’enfer, celle où l’on se consume malgré soi.

    Alors maintenant il faut vivre avec. Ou plutôt sans, sans ce membre qui n’a pas été là pendant si longtemps  mais qui, une fois raccordé, était devenu indispensable. On fait comme si, on tente de continuer à respirer, sans savoir vraiment quelle partie du corps on a perdu. Etait-ce un poumon, des tripes, une partie du cœur, un cerveau ? En tout cas un organe vital. Les pansements et compresses aidant, la blessure va cicatriser, pour sûr. Ce sera long, probablement, et bien sûr on espère une greffe rapidement, avant que la douleur ne soit trop usante. On guette le téléphone, en attente d’un appel du centre de greffe. Inlassablement. Parce qu’il nous est impossible de faire autrement. Parce qu’imaginer la vie sans ce membre est tout bonnement inconcevable.

    Mais en relisant les statistiques du centre de greffe, il apparaitrait que les membres se réunissent toujours au final. Quel que soit le temps d’attente. Alors attendons. Et que ça vienne ou pas, surtout, faire un point sur soi-même et se remettre en question afin que ça n’arrive plus jamais avec aucun membre, d’origine ou rapporté.

     

     

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