• Last Night A DJ Saved My Life

    “There’s something inside you

    It’s hard to explain”

    Kavinsky

     

     

    - Jewel Box -

     

                La quarantaine approchant à grands pas, il va quand même falloir que je me rende à l’évidence et que j’accepte mon sort : je suis une artiste. Je peins, je décore, je chante, je fabrique, j’écris, bref, je crée. Comme tout artiste qui se respecte je suis lunaire, sensible, entière, à fleur de peau, absente, bordélique, généreuse, préoccupée, parfois irascible, mais gentille le plus souvent possible. Et comme tout artiste qui se respecte j’ai plusieurs vies, et j’enchaîne les coups de foudre, qu’ils soient sonores, visuels ou amicaux.

             Cette vie de créatrice est inondée de musique, nourriture incontournable inspirant sans cesse  mon cerveau torturé. Alors les artistes qui la fabriquent font forcément partie intégrante de cette vie, se changeant même parfois en muses, que je le veuille ou non.

             Il y a d’abord eu l’enfance, marquée par des étés dansants, dans une discothèque de camping improvisée par les propriétaires dans leur propre grange, où se croisaient quelques beaux gosses tout droit sortis du  Mia d’IAM et des familles admirant leurs progénitures se trémousser sur les tubes disco. J’y ai découvert Madness, Giorgio Moroder, Scorpions, les premiers slows, et les effets de l’alcool sur des adultes éméchés essayant d’attraper les éclats de lumière projetés sur les murs par la boule à facettes.

             Ensuite est venue l’adolescence, le métal, le rejet de ce que l'on estime être ridicule, non, j’écoute  pas de chanson française vous rigolez ou  quoi. Se casser la voix sur les refrains de Sepultura, se faire des mèches rouges et porter des jeans déchirés comme Kurt Cobain. Avoir besoin de sentir que les autres souffrent avec vous, que cette rage est partagée. Korn est alors arrivé à point nommé. La souffrance et la rage, donc, expulsées dans des râles à vous tordre les tripes. Mes textes de l’époque se sont vus soudainement ponctués de fuck  à chaque coin de phrase. La pop anglaise est bien venue adoucir un peu tout ça ensuite, mais la toile musicale de ma vie est restée définitivement rock. And roll.

             L’envie de partager m’a naturellement conduite dans les locaux de radios locales, animatrice sur Utopie d’abord et Grenouille ensuite, puis dans l’organisation de concerts pour quelques années d’immersion dans ce milieu qui m’est si cher. De cette époque me restent de formidables souvenirs d’interviews improbables (Serj Tankian sortant de sa douche dans les loges du Dôme, Ben Harper qui me file des backstages pour qu’on parle de Jeff Buckley ensemble après son concert, ou la toute première, Troy Von Balthazar à la volée sur un muret en face de l’Espace Julien). Les démos formidables de Dust ou Tuscaloosa, groupes à la carrière malheureusement éphémère, et la fierté d’avoir co-organisé les seuls concerts hommage à Jeff  Buckley en France.

             Car un jour Jeff a pointé le bout de son nez, et je pense qu’après ça plus rien n’a été comme avant. Le choc a été si violent que presque vingt ans plus tard je ne m’en remets pas. Un éclat de diamant dans un flight-case, c’est ainsi que je le vois. Et depuis j’ouvre les flight-cases à tour de bras, à la recherche de nouveaux diamants, de cette émotion si particulière que procure le mélange du rock ‘n roll et de la sensibilité à fleur de peau d’un homme torturé à la voix d'ange.

             C’est en ouvrant celui de Julien Doré que j’ai découvert Arman Méliès, et que je m’inflige désormais ses tortures volontaires. Il love mes préoccupations de mère de famille dans des draps de soie, il accentue parfois la mélancolie que laissent derrière eux les moments de doute et de faiblesse d’une éternelle fillette qui tente de se débattre dans un monde d’adulte. Alors quand il vient rajouter à tout ça des sons semblables à ceux qui ont bercé mon enfance, puisant dans les années quatre-vingt la juste dose d’influence suffisant à faire vibrer l’éternelle nostalgique que je suis, je suis obligée de lui donner une bonne place au Panthéon de mes idoles, sans doute ex-æquo avec un Eddie Vedder ou un Thom Yorke, et jamais très loin de Jeff.

     

    *

     

    - Dead Boys are back in town -

     

             Et puis suivant Arman de très près, il y a eu Joseph. Il se dit d’Anvers mais vient de Nevers, a écrit pour Bashung et Dick Rivers, aime les road-movies américains, la couleur rouge, préfère la boxe au foot (surtout depuis qu'il a laissé un tendon d'Achille au fond d'une paire de crampons) et les likers. J’ai écouté, aimé, et son troisième album m’a marquée au fer rouge. Comme Arman, il a puisé juste ce qu’il fallait dans les sons électroniques pour révéler toute l’originalité de ses morceaux. Il a été mon compagnon d’infortune lors de mes escapades professionnelles à Paris, a habité mes oreilles dans le métropolitain, et mes yeux (car il écrit, aussi) pendant mes longues soirées d’isolement dans l’antre prêtée par un ami aux abords du quartier de Belleville. Depuis j’essaie même de poser ma voix sur ses mots, timidement, respectueusement, je tente d’incarner la femme qu’il décrit si bien dans Ma peau va te plaire, magnifique chanson initialement destinée à Bashung (Ha !).

             Joseph D’Anvers, c’est un front immense et des yeux lumineux, plantés dans la cour du resto de la Maroquinerie après un concert d’Arman Méliès. Un charisme à tout casser, effrayant, m’empêchant d’aller lui dire à quel point je l’admire.

             Joseph D'Anvers écrit, aussi, disais-je plus haut. Une histoire sombre de pluie interminable, d'amour torturé et de meurtres sur fond de rock 'n roll.

             Joseph D'Anvers raconte, également. Les Dead Boys, héros de nouvelles écrites par Richard Lange. Il a décidé d’en faire un spectacle, atypique, en forme de road-movie musical, dans lequel il donne vie à ces personnages désœuvrés et bruts de décoffrage.

             Joseph, c’est aussi un homme de son époque, connecté aux réseaux sociaux, qu’il maîtrise à merveille. Il sait l’impact d’un like, d’un commentaire bien placé, d'un post intimant avec humour l’ordre de partager divers évènements…  Il a compris l’importance d’une réponse à un mail timide, dans lequel je tente de dire à distance ce que je n’ai pas osé lui dire de plus près. Alors de mails en commentaires, de like en smiley, la glace s’est brisée, et l’impressionnant artiste a peu à peu fait place au musicien accessible et sympathique, ne faisant qu’augmenter mon envie de le rencontrer et d’échanger quelques mots avec l’homme.

                La première des Dead Boys à Paris a failli m’en donner l’occasion, mais un empêchement de dernière minute m’a obligée à attendre encore. La vie reprend donc son cours. Le boulot, l’inspiration, trop d’idées et pas assez de temps… Et la Friche, que j’aperçois de ma fenêtre, lieu atypique par excellence, ancienne manufacture de tabac reconvertie en pôle culturel et artistique, que j’imagine hantée par  quelques Dead Boys oubliés. Un jour, peut-être…

             En attendant, c’est à Manosque qu’ils ont décidé de poser leurs valises. Ils se rapprochent. Mais si, c’est Facebook qui me l’a dit, ils arrivent le vingt-sept septembre à vingt-deux heures trente. Enfin ! Enfin… S’il reste des places, merde, je l’ai échappé belle, j’ai chopé les deux dernières, il a du succès le bougre ! Après une heure et demie de route (oui, on a raté la sortie, deux nanas qui papotent en bagnole, vous êtes surpris ?!) on approche du but, le Café Provisoire montre timidement le bout de son nez dans la nuit encore bien tiède d’un été qui s’éternise. Il y a un spectacle avant, Jacques Gamblin je crois, on attend que les gens sortent, le cœur battant, l’excitation grondant au fond du bide…

             Les portes s’ouvrent enfin et c’est d’un pas robotique que je pénètre dans la salle, aperçois les coussins dispersés sur le sol pour ceux qui se mettront devant, mais je choisis le confort des chaises, un peu plus en retrait. Encore un peu d’attente et la lumière s’éteint, le voilà, boitillant (son tendon d’Achille est encore faible), s’installant dans un silence religieux, et le spectacle commence. Hypnotisée je suis. Les Dead Boys sont là, paumés, rageurs, pénétrants. Ils sont tous différents et pourtant parlent d’une seule et unique voix, celle de Joseph, qui les raconte avec une vérité fascinante. Il leur prête sa musique, leur invente des envolées de guitare, habille ainsi des mots qui lui collent à la peau, comme si c’étaient les siens. Quand il lâche sa guitare, c’est pour donner plus de rythme encore à ces  mots, avec ses mains et parfois même ses épaules, comme un boxeur. Comme un ancien boxeur, tiens, c’est vrai qu’il l’a été. S’en est-il rendu compte ? Les mots deviennent ainsi les armes tranchantes d’un combat sans merci entre le conteur et les contés. Je réalise alors à quel point je suis ravie d’être ici, me dis que je me contenterai quand même difficilement de la version alternative, quand, après un silence vide d’applaudissements (le public a attendu la toute fin pour ça. D’abord surprise, j’ai ensuite trouvé que la représentation prenait ainsi une toute autre dimension…) il entame une mélodie que je connais. Je souris en pensant qu’il fait bien de recycler ses propres musiques quand de nouveaux mots arrivent : les siens. Car ce que j’ignorais, c’est que le road-movie, déjà bien captivant, était ponctué de quelques morceaux à lui (dont Ma Peau Va Te Plaire, putain mon cœur s’est arrêté de battre).

             Après les fameux applaudissements tardifs marquant la fin, encore sonnée par ce déferlement d’émotions, je rejoins le bar du Café Provisoire afin de reprendre mes esprits. Et après un café-débriefing avec ma co-voyageuse, j’aperçois Joseph pointant le bout de son nez, une béquille à la main. J’hésite un instant, un court instant, non cette fois je ne laisserai pas passer l’occasion. Je l’interpelle timidement, heureusement Facebook a déjà fait les présentations, le contact est plus facile et la conversation démarre toute seule autour du spectacle. J’en profite pour lui faire signer son livre, les deux éditions, j’ai toujours eu un côté groupie, j’avoue et j’assume… Il me dit combien il faudrait voir la version intégrale du spectacle, oui, je sais bien, tu penses, mais la prochaine à Paris est en pleine semaine et je bosse, of course, alors à quand les Dead Boys à Marseille ? 

             On se dit au revoir, il est attendu et moi aussi, je lui souhaite le meilleur pour la suite, il est tard et j’ai du chemin pour rentrer. On se dit à bientôt, de toute façon Dead Boys n’en est qu’à ses débuts, on se recroisera sûrement quelque part… Il n’oublie pas de me recommander la plus grande prudence sur la route, attentionné en plus, voilà. Joseph.

              Joseph, j’avais envie de le prendre par le bras pour l’emmener chez moi finir la discussion autour d’un café, parler de tous ces mots, de tous ces sons, qui se muent en émotions si intenses. Parler de son histoire, de son bagage artistique, de ses influences, tiens, j’ai pas été journaliste moi à une époque ? Déformation professionnelle sans doute…

             Joseph, j’avais envie (mais peur !) de lui jouer ma version de sa chanson, de lui présenter mon amoureux avec qui il s’entendrait sûrement à merveille, dans un monde parfait ils se taperaient le bœuf dans mon salon.

             Joseph D’Anvers, qui après trois albums et un roman vient de rajouter une corde à son arc et de s’installer définitivement dans le trio de tête de mes favoris, poussant du coude au passage Pearl Jam et Radiohead, déjà bien bousculés par Arman Méliès…

             Et  comme j’ai de la chance (je suis née un vendredi treize, sans rire), il s’avère que par une étrange coïncidence je serai en vacances le 31 octobre,  j’avais oublié, dis. Je ne louperai donc pas les Dead Boys à Paris. Ouf.

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 9 Septembre 2015 à 14:30

    Joli! Merci de ce conseil. J'ai foncé écouté Joseph d'Anvers. Je ne suis pas encore en mesure d'en parler . Mais il faudra  que je fasse de mêem avec A.Meliès. Quoi qu'il en soit, c'est une jolie chronique d'un moment de musique. Et ça c'est beau et ça fait du bien.

    2
    Jeudi 10 Septembre 2015 à 11:44

    Merci à toi d'avoir lu, et merci pour eux de faire le démarche d'écouter... Très touchée que ça t'ai plu. Ca fait du bien de lire ce genre de commentaire :)

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