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Ce qu'il faut savoir. #JeSuisVictime #MeToo
Par Cinnamon Fraise dans Welcome to The Jungle (Billets d'Humeur et autres histoires extraordinaires) le 12 Mars 2020 à 00:13Ce qu'il faut savoir, c'est que chaque comportement déviant, si minuscule qu'il soit, a des conséquences dramatiques.
Moi, j'ai mis 30 ans avant d'en parler. Et après j'ai mis du temps à me sentir victime. Parce que l'épicier, il ne m'a jamais "touchée". Jamais aucun contact charnel. Il se contentait de frotter, habillé, sa queue en érection contre mes fesses de petite fille habillée de 8 ans, chaque fois que j'allais acheter des bonbons dans son magasin. Si j'ai mis aussi longtemps à en parler, c'est parce que je n'ai pas compris la gravité de ce comportement. Et si j'ai mis du temps à me sentir victime, c'est parce que je me comparais à celles qui ont vécu pire.
Pourtant, ces frottements ont eu un impact dramatique sur ma vie. Ce comportement sexuel a stoppé net mon enfance, et je suis devenue sans m'en rendre compte une femme. À 8 ans. Une femme qui ne connaît que la séduction dans son rapport aux hommes. Une femme qui ne peut envisager que les hommes ne s'intéressent pas à elle. Une femme qui ne sait pas qu'on n'est pas obligée de dire oui à tous ceux qu'elle intéresse. Je sais que ça ne s'est jamais vu. Je n'étais et n'ai jamais été une mante religieuse, hein. Je n'ai même jamais su draguer, une fois adulte. Mais dans ma tête c'était plié : tous les hommes doivent tomber sous mon charme.
Parce que ce comportement déviant, ça conditionne. Et j'ai envie de dire, surtout quand il n'y a ni violence ni pénétration. Ça s'insinue en douceur à l'intérieur, on sait bien que c'est pas normal mais c'est pas si grave, on se construit avec ça.
Et puis quand on cesse d'acheter des bonbons la vie continue. On grandit. Les premiers flirts arrivent. On morfle un peu plus que la normale quand un crush se refuse à nous, et on tombe dans les bras de tous ceux qui veulent bien de nous. Malgré tout ça, un jour on trouve sa place auprès de celui avec qui on fait un enfant, on se marie, parce que la vie est belle. On continue d'avancer avec ce secret auquel on ne pense presque jamais. La maman fait taire un peu la femme, c'est reposant.
Et puis un jour la femme sort de sa cachette, un peu comme le diable sort de sa boîte, et part en vrille. S'éparpille. Cherche un moyen d'exister dans une vie qui n'est pas faite pour elle. Infidèle donc menteuse, elle s'invente une vie qu'elle n'aimerait même pas vraiment vivre. Elle se trouve des excuses, cherche des explications, trouve des justifications à son comportement. Sans pour autant rien n'y comprendre. Toujours dévastée par le refus de ceux qu'elle brigue, toujours partante pour suivre ceux qui veulent bien d'elle. Jusqu'au jour où un psy tente de lui expliquer que tout ça, c'est de la faute de l'épicier. Qu'elle n'est ni une pute ni une salope, mais une victime. Ah, et puis son surpoids aussi ça vient de là. Réfléchis, tu mangeais rien avant tes 8 ans et soudain t'es devenue gourmande...
Oui mais je ne suis pas vraiment une victime moi, il n'a jamais été violent, ne m'a jamais touchée de ses mains...
3 ans. Il m'a fallu 3 ans pour arriver à intégrer que si, ce gros connard avait brisé ma vie. Qu'à cause de lui je suis anxieuse, stressée et angoissée. Qu'à cause de lui il y a 18 mois j'ai ajouté un stress post-traumatique à retardement à mon burn out. Que je suis dépressive depuis mes 8 ans. Que je me suis faite prendre par des mecs dont je n'avais aucune envie parce que je croyais que c'était normal. À cause de lui que j'ai fait souffrir mon ex mari, un homme merveilleux. Que mon fils vit avec des parents séparés. Que sa mère est au 36ème dessous tous les quatres matins, faisant tout pour le lui cacher. À cause de lui que je lutte si souvent contre l'envie d'en finir.
Alors ce qu'il faut savoir, c'est que chaque geste compte. Du plus petit effleurement volontaire à la pire des violences. Ce qu'il faut savoir, c'est que chaque silence tue un peu plus. Chaque doute, chaque moquerie enfonce un peu plus les victimes dans leur détresse. Les agresseurs DOIVENT être montrés du doigt. Jugés. Plus ils le seront, plus les suivants auront peur et réfléchiront peut être à deux fois avant d'agir. Ils ne DOIVENT PAS être protégés. Ces comportements, quelle que soit l'époque et la conscience du bien et du mal qui n'a pas toujours été la même, DOIVENT être Condamnés. LES CHOSES DOIVENT CHANGER. Parce que ces comportements BRISENT DES VIES.
(Notez que je parle de condamner les comportements et non leurs responsables, parce que pour moi ces gens n'ont pas leur place en prison. Ce sont des malades qui ont besoin d'être soignés. Les mettre en prison à mon sens revient à mettre en quarantaine un tuberculeux sans le soigner)
Il est important que les victimes se sentent LÉGITIMES, et à l'aise d'en parler. Il est important qu'on les ÉCOUTE et que les plaintes ABOUTISSENT. Et que les responsables ne restent PAS en liberté, avec d'innombrables possibilités de recommencer.
NB : Je rassure les inquiets(es) et freine tout de suite les morts de faim, mon rapport aux hommes est "normal" depuis environ 2 ans. Merci.
L'épicier, j'en reparle ici : Qui était-ce ? , et là : C'était...
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