• Mes Tortures Volontaires

    “There’s something inside you

    It’s hard to explain”

    Kavinsky

     

     

    - Jewel Box -

     

                La quarantaine approchant à grands pas, il va quand même falloir que je me rende à l’évidence et que j’accepte mon sort : je suis une artiste. Je peins, je décore, je chante, je fabrique, j’écris, bref, je crée. Comme tout artiste qui se respecte je suis lunaire, sensible, entière, à fleur de peau, absente, bordélique, généreuse, préoccupée, parfois irascible, mais gentille le plus souvent possible. Et comme tout artiste qui se respecte j’ai plusieurs vies, et j’enchaîne les coups de foudre, qu’ils soient sonores, visuels ou amicaux.

             Cette vie de créatrice est inondée de musique, nourriture incontournable inspirant sans cesse  mon cerveau torturé. Alors les artistes qui la fabriquent font forcément partie intégrante de cette vie, se changeant même parfois en muses, que je le veuille ou non.

             Il y a d’abord eu l’enfance, marquée par des étés dansants, dans une discothèque de camping improvisée par les propriétaires dans leur propre grange, où se croisaient quelques beaux gosses tout droit sortis du  Mia d’IAM et des familles admirant leurs progénitures se trémousser sur les tubes disco. J’y ai découvert Madness, Giorgio Moroder, Scorpions, les premiers slows, et les effets de l’alcool sur des adultes éméchés essayant d’attraper les éclats de lumière projetés sur les murs par la boule à facettes.

             Ensuite est venue l’adolescence, le métal, le rejet de ce que l'on estime être ridicule, non, j’écoute  pas de chanson française vous rigolez ou  quoi. Se casser la voix sur les refrains de Sepultura, se faire des mèches rouges et porter des jeans déchirés comme Kurt Cobain. Avoir besoin de sentir que les autres souffrent avec vous, que cette rage est partagée. Korn est alors arrivé à point nommé. La souffrance et la rage, donc, expulsées dans des râles à vous tordre les tripes. Mes textes de l’époque se sont vus soudainement ponctués de fuck  à chaque coin de phrase. La pop anglaise est bien venue adoucir un peu tout ça ensuite, mais la toile musicale de ma vie est restée définitivement rock. And roll.

             L’envie de partager m’a naturellement conduite dans les locaux de radios locales, animatrice sur Utopie d’abord et Grenouille ensuite, puis dans l’organisation de concerts pour quelques années d’immersion dans ce milieu qui m’est si cher. De cette époque me restent de formidables souvenirs d’interviews improbables (Serj Tankian sortant de sa douche dans les loges du Dôme, Ben Harper qui me file des backstages pour qu’on parle de Jeff Buckley ensemble après son concert, ou la toute première, Troy Von Balthazar à la volée sur un muret en face de l’Espace Julien). Les démos formidables de Dust ou Tuscaloosa, groupes à la carrière malheureusement éphémère, et la fierté d’avoir co-organisé les seuls concerts hommage à Jeff  Buckley en France.

             Car un jour Jeff a pointé le bout de son nez, et je pense qu’après ça plus rien n’a été comme avant. Le choc a été si violent que presque vingt ans plus tard je ne m’en remets pas. Un éclat de diamant dans un flight-case, c’est ainsi que je le vois. Et depuis j’ouvre les flight-cases à tour de bras, à la recherche de nouveaux diamants, de cette émotion si particulière que procure le mélange du rock ‘n roll et de la sensibilité à fleur de peau d’un homme torturé à la voix d'ange.

             C’est en ouvrant celui de Julien Doré que j’ai découvert Arman Méliès, et que je m’inflige désormais ses tortures volontaires. Il love mes préoccupations de mère de famille dans des draps de soie, il accentue parfois la mélancolie que laissent derrière eux les moments de doute et de faiblesse d’une éternelle fillette qui tente de se débattre dans un monde d’adulte. Alors quand il vient rajouter à tout ça des sons semblables à ceux qui ont bercé mon enfance, puisant dans les années quatre-vingt la juste dose d’influence suffisant à faire vibrer l’éternelle nostalgique que je suis, je suis obligée de lui donner une bonne place au Panthéon de mes idoles, sans doute ex-æquo avec un Eddie Vedder ou un Thom Yorke, et jamais très loin de Jeff.

     

    *

     

    - Dead Boys are back in town -

     

             Et puis suivant Arman de très près, il y a eu Joseph. Il se dit d’Anvers mais vient de Nevers, a écrit pour Bashung et Dick Rivers, aime les road-movies américains, la couleur rouge, préfère la boxe au foot (surtout depuis qu'il a laissé un tendon d'Achille au fond d'une paire de crampons) et les likers. J’ai écouté, aimé, et son troisième album m’a marquée au fer rouge. Comme Arman, il a puisé juste ce qu’il fallait dans les sons électroniques pour révéler toute l’originalité de ses morceaux. Il a été mon compagnon d’infortune lors de mes escapades professionnelles à Paris, a habité mes oreilles dans le métropolitain, et mes yeux (car il écrit, aussi) pendant mes longues soirées d’isolement dans l’antre prêtée par un ami aux abords du quartier de Belleville. Depuis j’essaie même de poser ma voix sur ses mots, timidement, respectueusement, je tente d’incarner la femme qu’il décrit si bien dans Ma peau va te plaire, magnifique chanson initialement destinée à Bashung (Ha !).

             Joseph D’Anvers, c’est un front immense et des yeux lumineux, plantés dans la cour du resto de la Maroquinerie après un concert d’Arman Méliès. Un charisme à tout casser, effrayant, m’empêchant d’aller lui dire à quel point je l’admire.

             Joseph D'Anvers écrit, aussi, disais-je plus haut. Une histoire sombre de pluie interminable, d'amour torturé et de meurtres sur fond de rock 'n roll.

             Joseph D'Anvers raconte, également. Les Dead Boys, héros de nouvelles écrites par Richard Lange. Il a décidé d’en faire un spectacle, atypique, en forme de road-movie musical, dans lequel il donne vie à ces personnages désœuvrés et bruts de décoffrage.

             Joseph, c’est aussi un homme de son époque, connecté aux réseaux sociaux, qu’il maîtrise à merveille. Il sait l’impact d’un like, d’un commentaire bien placé, d'un post intimant avec humour l’ordre de partager divers évènements…  Il a compris l’importance d’une réponse à un mail timide, dans lequel je tente de dire à distance ce que je n’ai pas osé lui dire de plus près. Alors de mails en commentaires, de like en smiley, la glace s’est brisée, et l’impressionnant artiste a peu à peu fait place au musicien accessible et sympathique, ne faisant qu’augmenter mon envie de le rencontrer et d’échanger quelques mots avec l’homme.

                La première des Dead Boys à Paris a failli m’en donner l’occasion, mais un empêchement de dernière minute m’a obligée à attendre encore. La vie reprend donc son cours. Le boulot, l’inspiration, trop d’idées et pas assez de temps… Et la Friche, que j’aperçois de ma fenêtre, lieu atypique par excellence, ancienne manufacture de tabac reconvertie en pôle culturel et artistique, que j’imagine hantée par  quelques Dead Boys oubliés. Un jour, peut-être…

             En attendant, c’est à Manosque qu’ils ont décidé de poser leurs valises. Ils se rapprochent. Mais si, c’est Facebook qui me l’a dit, ils arrivent le vingt-sept septembre à vingt-deux heures trente. Enfin ! Enfin… S’il reste des places, merde, je l’ai échappé belle, j’ai chopé les deux dernières, il a du succès le bougre ! Après une heure et demie de route (oui, on a raté la sortie, deux nanas qui papotent en bagnole, vous êtes surpris ?!) on approche du but, le Café Provisoire montre timidement le bout de son nez dans la nuit encore bien tiède d’un été qui s’éternise. Il y a un spectacle avant, Jacques Gamblin je crois, on attend que les gens sortent, le cœur battant, l’excitation grondant au fond du bide…

             Les portes s’ouvrent enfin et c’est d’un pas robotique que je pénètre dans la salle, aperçois les coussins dispersés sur le sol pour ceux qui se mettront devant, mais je choisis le confort des chaises, un peu plus en retrait. Encore un peu d’attente et la lumière s’éteint, le voilà, boitillant (son tendon d’Achille est encore faible), s’installant dans un silence religieux, et le spectacle commence. Hypnotisée je suis. Les Dead Boys sont là, paumés, rageurs, pénétrants. Ils sont tous différents et pourtant parlent d’une seule et unique voix, celle de Joseph, qui les raconte avec une vérité fascinante. Il leur prête sa musique, leur invente des envolées de guitare, habille ainsi des mots qui lui collent à la peau, comme si c’étaient les siens. Quand il lâche sa guitare, c’est pour donner plus de rythme encore à ces  mots, avec ses mains et parfois même ses épaules, comme un boxeur. Comme un ancien boxeur, tiens, c’est vrai qu’il l’a été. S’en est-il rendu compte ? Les mots deviennent ainsi les armes tranchantes d’un combat sans merci entre le conteur et les contés. Je réalise alors à quel point je suis ravie d’être ici, me dis que je me contenterai quand même difficilement de la version alternative, quand, après un silence vide d’applaudissements (le public a attendu la toute fin pour ça. D’abord surprise, j’ai ensuite trouvé que la représentation prenait ainsi une toute autre dimension…) il entame une mélodie que je connais. Je souris en pensant qu’il fait bien de recycler ses propres musiques quand de nouveaux mots arrivent : les siens. Car ce que j’ignorais, c’est que le road-movie, déjà bien captivant, était ponctué de quelques morceaux à lui (dont Ma Peau Va Te Plaire, putain mon cœur s’est arrêté de battre).

             Après les fameux applaudissements tardifs marquant la fin, encore sonnée par ce déferlement d’émotions, je rejoins le bar du Café Provisoire afin de reprendre mes esprits. Et après un café-débriefing avec ma co-voyageuse, j’aperçois Joseph pointant le bout de son nez, une béquille à la main. J’hésite un instant, un court instant, non cette fois je ne laisserai pas passer l’occasion. Je l’interpelle timidement, heureusement Facebook a déjà fait les présentations, le contact est plus facile et la conversation démarre toute seule autour du spectacle. J’en profite pour lui faire signer son livre, les deux éditions, j’ai toujours eu un côté groupie, j’avoue et j’assume… Il me dit combien il faudrait voir la version intégrale du spectacle, oui, je sais bien, tu penses, mais la prochaine à Paris est en pleine semaine et je bosse, of course, alors à quand les Dead Boys à Marseille ? 

             On se dit au revoir, il est attendu et moi aussi, je lui souhaite le meilleur pour la suite, il est tard et j’ai du chemin pour rentrer. On se dit à bientôt, de toute façon Dead Boys n’en est qu’à ses débuts, on se recroisera sûrement quelque part… Il n’oublie pas de me recommander la plus grande prudence sur la route, attentionné en plus, voilà. Joseph.

              Joseph, j’avais envie de le prendre par le bras pour l’emmener chez moi finir la discussion autour d’un café, parler de tous ces mots, de tous ces sons, qui se muent en émotions si intenses. Parler de son histoire, de son bagage artistique, de ses influences, tiens, j’ai pas été journaliste moi à une époque ? Déformation professionnelle sans doute…

             Joseph, j’avais envie (mais peur !) de lui jouer ma version de sa chanson, de lui présenter mon amoureux avec qui il s’entendrait sûrement à merveille, dans un monde parfait ils se taperaient le bœuf dans mon salon.

             Joseph D’Anvers, qui après trois albums et un roman vient de rajouter une corde à son arc et de s’installer définitivement dans le trio de tête de mes favoris, poussant du coude au passage Pearl Jam et Radiohead, déjà bien bousculés par Arman Méliès…

             Et  comme j’ai de la chance (je suis née un vendredi treize, sans rire), il s’avère que par une étrange coïncidence je serai en vacances le 31 octobre,  j’avais oublié, dis. Je ne louperai donc pas les Dead Boys à Paris. Ouf.

    Life is so great.

     

    *

     

    - Grand soir -

     

    Mais avant trente et un, il y a dix. Et le dix octobre, Arman Méliès joue en première partie d’Alex Beaupain à Istres. Lui aussi, il se rapproche, et même s’il n’est pas la tête d’affiche cette fois-ci, je ne risque pas de le manquer. Le concert de la Maroquinerie m’a laissé un goût de trop peu, il m’en faut encore…

    Et à peine levée ce matin-là j’y pense déjà, moi aussi j’habite un pont sur la mer, moi aussi je ne parle qu’aux mouettes et moi aussi je rêve de plus belle... Addict. Heureusement j’ai la chance de pouvoir bosser en musique et je m’injecte alors, avec un sourire béat, une dose massive de cette drogue si parfaite… L’impatience rend insupportable cette journée d’une longueur indécente et j’ai beau essayer de travailler, de penser à autre chose, ses envolées de guitares et sa voix vibrante tournent en boucle dans ma tête, sans répit et sans fin.

    Quand le soir arrive, enfin, c’est dans la fraîcheur d’un début d’automne que je prends la route pour L’Usine, salle où a lieu le concert de ce soir.  En arrivant je suis surprise de trouver le parking peu rempli, m’inquiétant un instant d’une éventuelle annulation de la représentation mais non, tout va bien, il y a des gens à l’intérieur. Enfin…. Quelques personnes, quoi. Ce soir la grande salle est fermée et c’est sur la petite scène du Club que le concert aura lieu. On doit être une grosse centaine, pas beaucoup plus. Dommage pour les recettes, mais comme je préfère l’intimité des petits concerts je suis plutôt ravie. En plus on peut s’asseoir, ils ont laissé les tables, ambiance café-théâtre. Parfait. Here Are The Young Man est diffusé sur un écran juste au-dessus du bar pendant qu’on patiente, et me ramène inévitablement à Joseph D’Anvers et à son roman La Nuit Ne Viendra Jamais, dit « sombre comme une chanson de Joy Division »… C’est à ce moment précis que la lumière s’éteint, qu’Arman monte sur scène et attaque son premier morceau. Ça y est, je suis dedans, encore plus près qu’à Paris, prête à en prendre plein les yeux et les oreilles. Je le sens fébrile, faire une première partie implique de convaincre un public, parfois réticent. Il en a d’ailleurs fait les frais une fois, à Marseille, avant Julien Doré, présentant à une audience mitigée un Gran Volcano hors-normes, malheureusement pas apprécié à sa juste valeur...

    Mais pas d’inquiétude, certains sont là pour lui aussi cette fois, et la chaleur des applaudissements est immédiatement rassurante. Je m’abreuve de ses chansons, reconnais la nouvelle version de Casino découverte à la Maroquinerie, déplore l’absence de ma préférée (Mille fois par jour) et me laisse emporter loin très loin par les solos de guitare. Car Arman est guitariste, avant tout, et c’est là qu’il est le plus à l’aise d’ailleurs. C’est dans ces moments qu’il s’oublie, qu’il devient un autre ou un vrai lui-même, qu’il irradie. Il n’en néglige pas pour autant les sons électroniques qui sont la couleur de son dernier album, et qui font gronder les tripes.

    Il n’est pas du gente bavard, Arman, et il enchaîne les morceaux en osant à peine parfois quelques mercis, préférant se réfugier derrière ses cordes vocales et de métal, et trop vite c’est déjà le dernier. Et pas des moindres. Sylvaplana. Magique, incendiaire, envahissant. La scène vole en éclat, le plafond explose, mon cœur se réfugie dans ma gorge et mes bras se paralysent. J’en reste figée, le regardant saluer et s’en aller, suivi de ses musiciens, voilà, c’est la fin. La tension retombe doucement tandis que les lumières se rallument, je reprends mes esprits en me demandant si je reste pour la suite, après tout oui, je suis curieuse. Je connais peu Alex Beaupain mais il me paraît fort aimable, et un concert est toujours l’occasion de se faire une vraie idée d’un artiste. Je n’allais pas être déçue, oh non.

    Il entame son premier titre et tout de suite j’ai peur qu’on bascule du côté (obscur) de  Bénabar, la variété ultra consensuelle n’est pas vraiment mon truc. Mais non, il reste en deçà de la limite autorisée, et se dirigerait plutôt vers un Julien Clerc -et pour cause, ils ont travaillé ensemble- de la grande époque, titillant mon incurable nostalgie. Je découvre au fil des morceaux une voix incandescente, une émotion variable au gré des chansons, et surtout un show-man incontestable. Chaque transition est marquée par des propos drôles, sympathiques, cinglants juste comme et quand il faut, un jeu constant de je-t’aime-moi-non-plus avec ses musiciens qu’il n’hésite pas à malmener, pour le plus grand plaisir du public qui en rit avec lui. Le Julien Clerc de l’an deux-mille se changeant alors en Fabrice Lucchini. Une question me taraude cependant : est-ce que  tout est très bien écrit ou est-il incroyablement doué pour l’improvisation ? C’est impossible à savoir, et c’est là tout le talent du personnage. Car les comparaisons sont bien réductrices, finalement. Alex Beaupain est doué, et unique. Le set de ce soir le prouve, il réussit à mettre au même niveau d’intensité deux morceaux diamétralement opposés, deux reprises, la touchante Je Ne Peux Vivre Sans T’Aimer de Catherine Deneuve et la flamboyante Chacun Fait Ce Qui Lui Plait de Chagrin d’Amour. Un grand écart culturel parfaitement assumé, digéré et sublimé.

    Alex Beaupain se balade sur un fil, le fil du rasoir, duquel il tente de ne pas tomber pendant tout le show, dissimulant ses failles derrière un humour sec et noir et des mélodies entraînantes. Mais ces failles ont su se frayer un chemin à travers sa voix, qui parfois se brise sensiblement, dévoilant ainsi l’émotion de l’homme, sans masque et sans fioriture. Essoufflé, presque hagard, il salue en compagnie de ses musiciens avant de quitter la scène et de me laisser là, conquise et déjà en manque d’une prochaine fois. Je crois que maintenant je peux le dire : j’aime Alex Beaupain.

    Le voyant apparaître dans la salle quelques instants plus tard, je ne peux m’empêcher d’aller lui faire part de tout ceci, retrouvant sans surprise et avec plaisir l’homme sympathique et drôle qu’il a été sur scène. Après une petite signature sur le billet du concert (la groupie que je suis ne repart jamais sans un souvenir), c’est au tour d’Arman de recevoir mes compliments. Il le savait déjà depuis Marseille et la Maroquinerie, mais ces choses-là se disent et se redisent éternellement. Pas de séance de dédicace avec lui, tout ce que je possède de lui est déjà signé bien sûr, et je les quitte, des étoiles plein le cœur.

    De retour chez moi il est bien tard mais je décide quand même de me pencher sur les productions studio d’Alex, histoire de le découvrir un peu plus. Je surfe d’un titre à l’autre, tentant de retrouver l’intensité ressentie ce soir, mais reste un peu perplexe : tout cela est bien lisse, ma foi. Les jolies mélodies sont là, bien sûr, les mots ne se cachent pas et les chansons sont belles, drôles ou même cinglantes, à son image. Mais sans faille : celles que j’ai pu entrevoir à Istres ce soir manquent cruellement. Il entre malgré tout dans mon lecteur mp3 par la grande porte, car j’ai bien envie de l’écouter encore, et il me trouble parfois presque autant qu’Arman ou Joseph. Mais il va devoir pédaler sec pour rattraper le peloton de tête. Tout n’est pas perdu, je remarque soudain la chemise qu’il porte sur la pochette du disque : en jean, bleue, comme Joseph. Vivement le prochain album.

     

     

     *

     

    -Dead Boys In Paris (Tonight’s The Night) -

     

    Un mois après Manosque, les Dead Boys sont de retour. Dans la capitale pour la deuxième fois. Ils ne viennent à Paris que pour célébrer quelque chose, on dirait, d’abord la fête de la musique et maintenant Halloween. Bande de fêtards… Joseph les prépare depuis quelques jours, se prépare surtout, ce soir il range la béquille au placard et tente le lâcher prise sur deux jambes. Il a confiance en son tendon.

    La veille il me lâche quelques infos, m’explique un peu comment tout cela s’est monté, le choix des textes et de ses morceaux, me rend impatiente de découvrir la représentation avec un autre regard. Il me dit aussi que plein de gens doivent venir, du genre qui pourraient influencer la montée en puissance du spectacle… Il ne me dit pas qu’il a le trac, mais à sa place je n’en mènerais pas large.

    En cette soirée particulière, dans une ville qui ne dort jamais et veille de férié oblige, les rues sont inondées de gens et je croise des spécimens aux déguisements parfois plus qu’approximatifs. Maquillages d’amateurs et perruques usées d’avoir trop traîné dans ce genre de soirées… Je laisse les zombies et autres vampires s’amuser entre eux et pénètre dans le quartier de l’Horloge pour rejoindre le Passage Molière. Direction la Maison de la Poésie. Le lieu est atypique, délicieux, feutré. L’âme de Molière vient chuchoter à l’oreille de quiconque entre à l’intérieur. Les vieux canapés en cuir côtoient les chaises Louis XV pour accueillir le public pressé d’entrer.

    20h00. Les portes s’ouvrent sur le décor que je découvre enfin en vrai, la salle de Manosque étant trop petite la mise en scène en avait été réduite. Je ne connaissais la toile de fond du spectacle qu’en photos. Dépaysement. On est loin de Molière… On se rapproche des US. Du béton. La scène est encerclée de grands panneaux de papier froissé, miroirs des vies abîmées que portent en eux les Dead Boys. Joseph entre. Fébrile, il attrape sa guitare et commence l’histoire. Sur ses deux jambes, cette fois, et ça change pas mal de choses. Il ne combat plus le récit. Il le porte. Il porte chaque personnage à bout de bras, les faisant renaître à la vie, leur insufflant l’énergie nécessaire pour continuer de lutter avec leur destin. Ils crient à travers sa guitare. Il les raconte avec ses cordes. Ce soir particulièrement les chansons sont intenses, liées plus profondément encore aux mots de Richard Lange. Joseph donne l’impression que les Dead Boys ne le quitteront jamais, forcés de vivre en lui pour toujours. Mais s’ils étaient en lui depuis toujours ?

    La cohésion entre les textes et les chansons n’efface pas pour autant sa fébrilité. Joseph porte ce spectacle comme il porte les personnages, à bout de bras, et nous l’offre avec une sincérité et une générosité émouvantes. Le rockeur a beau prendre souvent le dessus ce soir, l’émotion est palpable et l’envie de bien faire transpire, il y a mis tout son cœur… Le public absorbe cette émotion et cette générosité sans ciller, le spectacle se termine et les applaudissements pleuvent. Il remercie timidement, n’oublie pas le staff son et lumière, si importants bien sûr, et nous quitte. Pour revenir dire un dernier au revoir, sous la pression des spectateurs qui ne cessent d’applaudir.

    Fin de l’histoire. Ce soir les Dead Boys ont fêté Halloween à leur manière, en se livrant corps et âme au public parisien.

    Ma parenthèse D’Anvers se referme sur cette soirée, quelques mots pour le féliciter, se dire au revoir et espérer que les Dead Boys viendront visiter d’autres villes, plein, longtemps…

     

    *

     

    -En Nous La Vie-

     

    Pendant mon escapade parisienne, j’apprends qu’Arman Méliès et La Maison Tellier font affiche commune sur Annecy, et qu’ils m’offrent un peu de leur temps pour une interview… Me voilà donc partie pour un week-end savoyard !

    J’arrive à la salle en début d’après midi et découvre un lieu atypique, le Brise Glace. Véritable plaque tournante des musiques actuelles, cet endroit chaleureux (malgré le climat régional !), mené par une équipe impliquée et fort sympathique, propose moultes activités à un public de tout âge. Des locaux de répétitions aux concerts, des formations aux partenariats avec les réseaux culturels, bref, un lieu qui compte. Leur dernière idée, brillante : proposer à La Maison Tellier de jouer devant des enfants ! L’après midi du groupe est donc chargé, m’obligeant à attendre avant de leur poser mes questions… Je m’installe alors bien sagement dans un coin de la salle, et assiste avec délectation aux balances d’Arman…

    Après les deux interviews il est rapidement l’heure du concert et je trépigne d’impatience devant la salle, ignorant le froid polaire de ce début de soirée savoyarde. Le public, tout aussi pressé, s’agglutine devant l’entrée et les portes s’ouvrent enfin. C’est La Maison Tellier qui commence et je ne les ai encore jamais vus en live. Beauté Pour Tous m’a déjà mis une sacrée claque, alors autant dire que je les attends au tournant… Dès leur arrivée  sur scène, le ton est donné : simplicité et générosité. Les gaillards s’offrent entièrement à travers leur musique, nous livrent leurs chansons avec humour, amour, passion, et je retrouve avec bonheur toute l’authenticité de leurs disques. En vrai, en live, devant moi. Je fonds. J’ai envie que ça dure toujours, j’ai envie d’aller y habiter, moi, dans ce bordel normand. En plus il y a une fête foraine dans leur jardin, un vrai paradis… C’est ça l’effet LMT. Des musiciens tous différents mais en osmose complète, chacun apportant sa pierre à l’édifice, magnifiant cette musique déjà si riche. Helmut, le chanteur, s’abandonne au service des mots, ses propres mots, qu’il nous sert avec une intensité rare. Porté par les autres musiciens, qui, chacun à sa manière, subliment le spectacle. La délicatesse feutrée du trompettiste, la discrétion de l’indispensable contrebassiste, l’implication acharnée du guitariste, la folie du batteur… Tiens, parlons-en du batteur. Survolté. Torturé. Il emmène le public dans sa transe, meneur enragé, dévoilant ses tripes à coup de hurlements tonitruants, offrant plus de profondeur encore à ce spectacle envoûtant. Je me demande ce qui l’attend à la sortie, la civière ou la camisole…

    Encore éberluée par la puissance de ce show, je reconnais soudain le début de ma chanson préférée, La Maison De Nos Pères. J’en souris de bonheur et m’abandonne, les yeux fermés, à la joie d’être là. Au premier rang, accrochée à la barrière, je vis ce que je pense être à ce moment-là l’apothéose du concert, mais je me trompais. A ma grande surprise c’est Petit Lapin qui m’emmène loin, très loin, au bord des larmes même je vous assure… Epatée, transportée, je les regarde s’en aller sur Mauvais Coton, un final tel je l’imaginais sur le disque, chaleureux et captivant. Bonne route, les gars, revenez vite…

                    La salle se rallume sur un public ravi (bien que frustré de ne pas avoir eu de rappel), moi je vais m’assoir un moment pour attendre la suite et me remettre de mes émotions. Je ne tarde pas à aller retrouver ma place devant, car voilà Arman qui pointe un minois timide et discret, branche sa guitare et entame une mélopée planante et torturée. Ses musiciens le rejoignent et la boîte à bijoux s’ouvre enfin, livrant au public les joyaux dont il a le secret. Plus près de la scène que jamais, j’ai tout le loisir d’observer la manière dont ils abordent ce concert. Etrange d’avoir assisté aux balances et de voir ensuite le résultat en public… Je retrouve avec amusement l’application presque scolaire de Pacôme, le clavier, sur des back vocals parfaites qui habillent à merveille l’univers d’Arman. Tout est là, la froideur des sons électroniques enveloppés dans les bras tortueux de sa guitare, le grondement perpétuel qui vient prendre les tripes à chaque morceau, la chaleur et la tendresse de sa voix si touchante parfois… Il se donne, s’oublie, offre au public cette musique si prenante, si précise, si ensorcelante. Précise, oui, car Arman est un orfèvre de la mélodie. Ses morceaux sont ciselés, ficelés, taillés comme des pierres précieuses. Il nous rend à travers eux, au centuple, son amour pour la musique.  Et moi, en face, je suis envahie d’émotions, plus fortes les unes que les autres. Le point culminant bien sûr est Sylvaplana, deuxième fois de la soirée que je me retrouve au bord des larmes. Je ne sais pas si je vais tenir le choc longtemps. Toujours cette impression, troublante et fascinante, que le plafond va exploser et nous envoyer dans une autre galaxie…

    Arman nous laisse dans cet état et s’éclipse sous les applaudissements incessants, pour mieux revenir nous donner encore un peu de lui. Il en plaisante, cette histoire de rappel faussement imprévu le fait sourire, on sait tous comment ça marche… La fin du concert est délicate, moelleuse, comme pour mieux nous faire aborder la nuit qui va suivre. Mon cœur s’emballe sur les dernières notes, comment vous dire à quel point je n’ai pas envie que cette soirée se termine… Je rejoins malgré tout la sortie et retrouve mon hôtel, des étoiles plein les oreilles.

     

    Ce soir mon cœur a tremblé, mes yeux ont pétillé, le Brise-Glace a fondu. La chaleur  du foyer Tellier et du trio Méliès a repoussé un peu l’hiver précoce, me faisant espérer que vite, très vite, je les retrouverai à nouveau au coin du feu.

     

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